Un texte de Joanie Godin – Punching Grace
Est-ce que le nom de Christian Mbilli vous dit quelque chose? Si oui et que vous le connaissez parce qu’il sera en vedette lors d’un combat pour le titre WBC Continental des Amériques le 26 mars prochain face à Nadjib Mohammedi, alors vous avez un début de réponse. Mais le connaissez-vous vraiment?
L’histoire de ce Camerounais d’origine, exilé en France puis au Québec est plus qu’inspirante. Le genre de récit pour lequel on pourrait facilement jumeler sa photo à côté de la définition de « résilience » dans n’importe quel dictionnaire.
D’abord, quand on voit le jour dans une ville pauvre du Cameroun alors que sa mère est tombée enceinte à l’âge d’à peine 15 ans, on peut dire qu’on part avec deux prises contre nous dans la vie. Peut-être parce qu’il a d’abord joué au soccer pour ensuite tomber amoureux de la boxe, mais le pugiliste n’a jamais tenu compte de ces statistiques associées au baseball.
La résilience fait partie de mes racines – Christian Mbilli
« Je pense que la résilience en tant qu’Africain qui a grandi en Afrique, tu l’as automatiquement. Tu en es obligé quand tu es né dans un milieu un peu difficile. Ma mère aussi a eu un passé très difficile et c’est certain que si elle n’avait pas été résiliente, ni elle ni moi ne serions où on est aujourd’hui. La résilience fait partie de mes racines et elle me l’a transmise dans son ventre parce qu’il a fallu qu’elle soit très forte pour m’enfanter dans la situation de l’époque, dans un petit village. Elle a traversé la misère du Cameroun pour se bâtir une vie avec toutes les complications que ça implique. »
De l’Afrique, il garde tout de même de beaux souvenirs d’enfant malgré les peu de moyens de sa famille, comme ceux de courir dans les rues sous la pluie, des jeux dans la poussière et des vacances au village avec la famille. On peut dire qu’il est chanceux d’avoir ces bons souvenirs en tête puisque la vie dans un village comme le sien, Akonolinga, est très loin des conditions que l’on connaît ici. Là-bas, les gens vivent généralement sans électricité, sans eau potable, avec un salaire équivalant à quelques dollars par jour – quand on a un emploi – et ce sont souvent les membres de la famille élargie qui doivent s’occuper d’élever les enfants.
Si on appuie sur la touche « avance rapide » de son parcours, on en vient à l’épisode où sa mère, qui travaillait dans un restaurant, a fait la rencontre d’un ingénieur français. Ç’a été le coup de foudre. Et surtout, la France représentait un espoir de vie beaucoup plus florissante pour le jeune Christian. C’est alors que la jeune maman a pris la décision la plus déchirante de sa vie : partir pour la France avec son nouvel amoureux et laisser derrière elle son fils, le temps de régler toute la paperasse pour compléter son immigration en France.
Les démarches ont toutefois été longues et complexes. Tandis que sa mère et son beau-père se battaient contre les procédures officielles, Christian se promenait de maison en maison. Une fois chez un oncle, une autre chez une tante, tantôt chez les grands-parents, le jeune garçon a fait le tour. Pendant cette période, sa mère venait le visiter une fois par année au Cameroun afin de s’assurer que tout se passait bien et elle s’organisait pour lui parler au téléphone une fois par semaine. Tout cela avant l’ère des FaceTime et Messenger de ce monde.
Obtenir tous les droits de faire venir l’adolescent en France ne voulait toutefois pas dire qu’il aurait la vie facile par la suite. Notamment en raison de l’emplacement de leur première maison.
« Mon beau-père était ingénieur en travaux publics et il construisait des ponts pour une grande société française. En raison de son travail, il avait l’habitude de déménager souvent. Quand je suis arrivée en France, il construisait une autoroute pas très loin de Montargis. Sans mentir, le quartier à côté d’où j’habitais était assez difficile. Le niveau social n’était pas très élevé. J’avais des problèmes, que ce soit des problèmes de bagarres ou pour me faire respecter. Je n’avais pas de grand frère pour me défendre, alors j’ai dû le faire seul tout au long de mon adaptation », a raconté Mbilli.
De plus, il avait déjà un bon gabarit et dans ce genre d’environnement, on défiait celui qui avait un physique un peu plus imposant. Il était donc une cible courante pour que les autres tentent de faire leurs preuves.
Sa vie a complètement changé le jour où il a croisé un ancien surveillant de son collège qui se rendait à un cours de boxe. Il a invité l’adolescent et son ami à le suivre afin de voir comment ça se déroulait.
« Honnêtement, je me suis dit que ce serait l’occasion de perfectionner ma défense, que je devais améliorer. J’y suis entré et j’ai tout de suite trouvé ma place. Ç’a complètement changé ma trajectoire de vie parce que c’est comme si je m’étais retrouvé chez moi. C’est ça que je voulais faire et les résultats sont apparus du jour au lendemain. »
En effet, au bout de seulement cinq mois d’entraînement en salle, il était troisième au Championnat de France, rien de moins!
L’école de la vie
Ce n’est toutefois pas parce que le succès a été rapide qu’il n’en a pas bavé. Au contraire.
« Avant, je jouais au soccer, mais c’était plus pour passer de bons moments avec mes amis. Quand j’ai commencé la boxe, je me suis évidemment fait frapper, je ne savais pas comment faire, n’avais pas la technique. Alors je me suis fait faire mal par des gens plus petits et moins lourds que moi. Je me disais “OK, je vais revenir, me venger, en faire plus”. Et tu reviens, tu t’améliores et tu apprends. La boxe, c’est un peu l’école de la vie, où quand tu réussis, tu en sors en comprenant qu’il faut travailler. Tu ne peux compter que sur toi-même, si tu triches, c’est toi qui seras fautif et ça va te retomber dessus. J’y suis arrivé à force de persévérance et de travail, même si j’avais déjà une faculté physique et un peu ce sport dans les gènes. »
Avec tous les sacrifices faits par Marie Thérèse, sa mère, l’annonce de la nouvelle passion de son garçon n’a pas été facile à digérer. Tout ça pour qu’il se retrouve dans un sport tout de même dangereux?
« Ça lui a fait mal au cœur et elle ne voulait pas. Heureusement que mon papa a bien voulu me donner la permission parce que pour elle, c’était hors de question. Voir son enfant partir du soccer pour aller boxer et prendre des coups, ça doit être compliqué pour une mère. Elle voit ça comme un sport dur, dangereux et c’est sûr qu’elle sera très contente le jour où je vais lui annoncer que j’arrête la boxe », a admis l’athlète de 26 ans.
En même temps, malgré les coups encaissés, la boxe s’est avérée être une thérapie pour lui.
« Je suis convaincu au plus profond de moi que pour pratiquer ce sport, soit tu as des problèmes à résoudre avec toi-même, soit c’est une sorte de thérapie personnelle. Je ne suis pas du genre à me plaindre, mais c’est sûr que ce n’est pas facile pour un jeune homme africain de venir en Occident. Tu as forcément des difficultés, que ce soit du racisme, le changement de culture, tu as ce petit truc qui te dit “OK, je dois me battre”. Alors ç’a été une thérapie et paradoxalement, j’ai choisi cette voie pour me sortir de ma vie, comme un tremplin pour pouvoir faire autre chose, a-t-il expliqué.
« Je sais d’où je viens et je n’ai pas envie d’y retourner. Je sais où je veux aller et que je veux une vie meilleure. Ma mère nous a toujours dit que ce qu’elle fait, c’est pour nous, pour qu’on ait une meilleure vie que la sienne. C’est pourquoi je veux lui faire honneur, lui dire que tous les sacrifices n’ont pas été faits pour rien. »
Après avoir surmonté toutes ces embûches, Mbilli souhaite évidemment des victoires et des titres, mais le plus important sera toujours de conserver le plaisir qu’il a à boxer.
« J’ai le désir d’être champion du monde, mais avant tout, je veux garder ce plaisir-là, conserver cette flamme qui me dit que je suis content de ce que je fais. S’il arrive un moment où ce plaisir s’évapore, je vais passer à autre chose. »
Mbilli (20-0-0, 18 K.-O.) remontera dans le ring le 26 mars prochain afin de défendre son titre Continental du World Boxing Council (WBC), face au Français Mohammedi (44-8-0, 27 K.-O.) au Casino de Montréal.