Un texte de Rénald Boisvert
Dans un article récent , j’ai discuté de la situation particulièrement désavantageuse vécue par les boxeurs professionnels qui ne sont pas sous la bannière d’un promoteur.
Après avoir déploré le fait que ces pugilistes se retrouvaient quasi systématiquement dans la situation de faire-valoir, je suis arrivé à la conclusion que ceux-ci auraient avantage à être encadrés, par exemple, au sein d’une association dont le rôle consisterait principalement dans la recherche (booking) de combats équilibrés.
Ainsi, une telle association aurait pour but de desservir les boxeurs d’ici, soit les professionnels, mais également les boxeurs amateurs qui n’ont pas l’opportunité de combattre en dehors du Québec. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui seront le sujet du présent article.
La mission première de ladite association serait donc de fournir également aux boxeurs amateurs des occasions plus nombreuses de livrer des combats. Beaucoup de boxeurs amateurs de talent n’ont pas cette opportunité. Dans ce qui suit, je vais donc commencer par cibler cette relève largement négligée. À la fin, je ne manquerai pas d’interpeller la Fédération québécoise de boxe olympique (FQBO). Sans la collaboration de cet organisme, il serait difficile de mener à bien le présent projet pour ce qui est de son volet amateur.
BEAUCOUP D’APPELÉS, PEU D’ÉLUS
Comme on sait, la boxe amateur offre une excellente opportunité de se développer non seulement en tant qu’athlète, mais aussi sur le plan humain. D’ailleurs, il est assez simple de constater les bienfaits que ce sport procure lors de l’entraînement proprement dit. Mais peut-on en dire autant de la compétition?
Au Canada, pour ce qui est des séniors autant chez les hommes que chez les femmes, il n’y a grosso modo qu’un ou deux athlètes par catégorie de poids qui bénéficient des privilèges et avantages consentis dans l’année (tournois d’envergure, support technique, etc…) Cela ne constitue que très peu d’opportunité pour les boxeurs amateurs de chacune des provinces, lesquelles doivent désespérément se partager ce maigre butin.
Pour ce qui est du Québec, approximativement un boxeur sénior par catégorie de poids bénéficie de ce support offert par Boxe-Canada. Chez les boxeurs d’âge junior, ce ratio est encore moindre que chez les séniors.
Sur le plan du «développement des athlètes», n’est-ce pas une anomalie qu’aussi peu de pugilistes au Québec obtiennent l’opportunité de combattre régulièrement à l’étranger? Cette situation n’est-elle pas susceptible d’affecter le potentiel de développement de tous ceux qui restent en marge? Pour mieux en cerner l’incongruité, permettez-moi de comparer cette situation à celle de notre sport national.
Dans le but d’appartenir à la grande ligue professionnelle (LNH), la majorité des jeunes joueurs de hockey doivent être sélectionnés lors d’un événement appelé «repêchage». Comme on peut s’y attendre, les premiers athlètes sélectionnés par les équipes professionnelles sont alors considérés comme étant les espoirs les plus prometteurs.
Dans plusieurs cas, les dépisteurs auront identifié avec succès les meilleurs athlètes. Mais il arrive quand même souvent que des joueurs sélectionnés parmi les premiers ne connaissent pas une bonne carrière professionnelle. Inversement, certains athlètes jamais repêchés vont, contre toute attente, se hisser au sein des joueurs dominants dans la LNH. À titre d’exemples, voici quelques-uns des joueurs qui n’ont pas été sélectionnés lors d’un repêchage : Curtis Joseph, Ed Belfour, Sergei Bobrovsky, Dino Ciccarelli, Martin St-Louis, etc…
N’y a-t-il pas lieu de croire que ce même phénomène existe également pour ce qui est de la boxe? Comme pour les joueurs de hockey, certains boxeurs ignorés au départ ne pourraient-ils pas avec le temps surpasser ceux que l’on avait identifiés comme étant les plus prometteurs? Il n’y a aucune raison que cela ne puisse pas être le cas. Il faut bien admettre ici que les athlètes ne se développent pas tous au même rythme. Ce ne sont pas toujours les plus précoces qui vont atteindre un haut niveau de compétition. Ne faut-il donc pas reconnaître davantage les talents à long terme?
Bien évidemment, je suis convaincu que ces joueurs de hockey jamais repêchés ont dû trimer dur pour parvenir au plus haut niveau. En revanche, il faut considérer que les opportunités de progression étaient certainement présentes tout au long de leur cheminement. À partir des rangs mineurs, ils ont donc pu gravir les échelons à leur propre rythme.
Ainsi, ce que je retiens de la progression de ces joueurs jamais repêchés, c’est qu’à chacune des étapes, ils ont pu évoluer grâce à une opposition adaptée à leur stade de développement. Vous comprendrez qu’une telle opposition qui soit fonction du stade de développement de l’athlète n’existent à peu près pas pour les boxeurs amateurs qui restent en marge de la sélection nationale. En fait, ils doivent se contenter d’un nombre nettement insuffisant de combats.
«C’EST EN FORGEANT QU’ON DEVIENT FORGERON»
Appliqué à la boxe amateur, ce vieux proverbe traduit du latin signifie que c’est à force de combattre que l’on devient un combattant. Dans cette optique, les occasions de combat doivent être fréquentes et constantes pour permettre une réelle progression.
Ainsi, les boxeurs amateurs confrontés à des périodes d’inactivité plus ou moins longues en raison de la rareté d’adversaires de qualité peuvent difficilement évoluer et rattraper l’écart entre eux et ceux qui ont été sélectionnés au Canada.
Mais attention! Comme vu précédemment, il ne suffit pas de combattre plus souvent. Pour être pleinement efficaces, encore faut-il que ces occasions de combat soient adaptées au stade de progression des boxeurs. Voyons ce que cela suppose en tout premier lieu.
L’IMPORTANCE DES COMBATS ÉQUILIBRÉS
Parmi les principes pédagogiques applicables à tous les sports, c’est sans aucun doute le principe de «progression» sur lequel les experts insistent le plus. Par rapport à la compétition, cela signifie que l’opposition ne doit être ni trop forte, ni trop faible.
D’ailleurs, vous pouvez aisément imaginer le niveau de satisfaction d’un boxeur amateur après avoir perdu un combat chaudement disputé; malgré la défaite, il en ressort normalement avec une certaine fierté. Or, comparez maintenant cette réaction à celle que ce boxeur éprouverait après un match au cours duquel il a été complètement déclassé.
En général, tout boxeur peut encaisser mentalement une cuisante défaite; mais si un tel revers se produit de façon répétitive, il est à craindre que cela laisse des traces qui pourraient ne jamais disparaître (sentiment d’échec, démotivation, doute, perte de confiance en soi, etc…)
À l’opposé, ce n’est pas non plus une bonne façon d’envisager la progression d’un boxeur amateur que de le soumettre à une faible adversité. À moyen et à long terme, l’accumulation de victoires face à des adversaires médiocres peut engendrer chez cet athlète une fausse perception de performance et d’accomplissement.
Pour toutes ces raisons, il appert que la meilleure option consiste, je le répète, à soumettre les combattants à une opposition adaptée à leur stade de développement. En pratique, cela signifie que ceux-ci ont avantage à livrer des combats équilibrés afin de progresser tout au long de leur parcours, d’autant plus que chez les amateurs, les défaites ne portent pas tellement à conséquence.
Par ailleurs, il ne faut pas penser ici que l’opportunité de livrer des combats équilibrés ne fait que des gagnants. On doit accepter le fait que ces combats ont pour effet de départager les meilleurs candidats de ceux dont le développement stagne. L’objectif premier, c’est d’identifier et de favoriser les boxeurs amateurs dont le potentiel se sera développé quelque peu tardivement, mais de manière si concluante que ceux-ci pourraient bien éventuellement rattraper leur retard par rapport à l’élite nationale.
En outre, ceci aurait pour conséquence de grossir le bassin de boxeurs amateurs de haut niveau, faisant en sorte qu’aucun athlète ne serait seul à pouvoir se développer. Bien au contraire, l’émergence d’un tel pool deviendrait une source considérable d’émulation, à tel enseigne qu’elle obligerait tout champion amateur à performer encore davantage non seulement pour accéder au sein de l’équipe nationale, mais aussi afin d’y conserver sa place.
Maintenant que j’ai identifié les principales caractéristiques de ces boxeurs amateurs susceptibles de tirer avantage d’un booking hors Québec, il me faut indiquer les raisons pour lesquelles l’association (encore à naître) ne pourrait pas remplir à elle seule tous les objectifs inhérents à ce projet. Fort heureusement, il existe ici au Québec un organisme dont la mission peut répondre aux aspirations des boxeurs amateurs.
LA FÉDÉRATION QUÉBECOISE DE BOXE OLYMPIQUE
Aussi appelée Boxe-Québec, la FQBO est chargée de superviser la boxe amateur au Québec. Parmi ses nombreux objectifs, cet organisme vise à identifier les athlètes talentueux autant chez les juvéniles, les juniors que chez les séniors.
Ce qui est ici à noter, c’est qu’une fois ciblés par la FQBO, ces athlètes peuvent obtenir un soutien de haut niveau de la part de l’Institut national du sport du Québec (INS Québec) et plus particulièrement, des centres régionaux d’entraînement multisports (CREW). Dans un document émanant du ministère concerné, l’un des objectifs poursuivis est :
«… que tous les athlètes identifiés de niveau «élite», «relève» et «espoir» du Québec ainsi que leur entraîneure et entraîneur aient accès à une offre complète de services scientifiques et médico-sportifs» (1)
De prime abord, il me semble que ces services ne sont pas pleinement utilisés par nos pugilistes québécois. Peut-être que ces mesures ne sont pas suffisamment connues de la part des principaux intéressés. Pour sûr, il s’agit d’une avenue à exploiter de façon optimale, une avenue d’autant plus intéressante qu’elle se conjuguerait parfaitement avec la mission dont il a été question tout au long du présent article.
Car, il ne suffit pas pour les boxeurs amateurs d’augmenter le nombre de leurs combats. Pour se développer adéquatement, ces pugilistes ont tous besoin d’un encadrement hautement spécialisé (préparation physique, nutritionniste, etc…)
Enfin, il est à noter qu’au moment où cet encadrement est apporté, le pugiliste «identifié» est accompagné de son entraîneur de boxe. Ce n’est pas rien. J’y vois une occasion pour cet entraîneur de parfaire ses connaissances, autant théoriques que pratiques, qu’il fera à son tour bénéficier à l’ensemble des athlètes dont il a la responsabilité.
CONCLUSION
Dans cet article, j’ai longuement référé aux objectifs que poursuivrait l’association à être créée. Notamment, il m’est apparu important d’insister sur le support que l’on devrait alors accorder à ces jeunes talents qui se développent quelque peu tardivement, mais dont l’aboutissement peut dépasser toutes les attentes.
D’ailleurs, le phénomène qui oppose maturité précoce à maturité tardive est bien documenté par rapport au développement des athlètes. C’est pourquoi il convient autant que possible d’augmenter le bassin de pugilistes de manière à ne pas laisser échapper ces nombreux talents qui se développent à plus long terme.
Enfin, pour ce qui est de l’activité principale de ladite association, je me suis limité à mentionner qu’elle se dédierait à la recherche (booking) de combats équilibrés en dehors du Québec. Je ne crois pas qu’il conviendrait d’élargir ce mandat. Ce serait empiéter sur le terrain de la FQBO. Il vaudrait donc mieux que, de part et d’autre, ces deux associations en viennent à conjuguer leurs efforts.
En dernier lieu, il y a un élément fondamental que je n’ai pas abordé à propos de cette éventuelle association, c’est la forme qu’elle pourrait prendre. Peut-être suffirait-il qu’elle soit créée à partir d’un groupe informel seulement? Ou serait-il plutôt préférable qu’elle adopte la structure d’une association sans but lucratif? Ceci reste à déterminer…
(1) Programme de soutien aux Centres régionaux d’entraînement multisports 2019-2020 – Guide des normes