• 3 décembre 2024
  • Last Update 16 octobre 2023 10 h 47 min
  • Montréal

L’art de «couper le ring»

L’art de «couper le ring»

Un texte de Rénald Boisvert

Le titre que j’ai donné à mon texte semblera peut-être étonnant aux yeux de plusieurs d’entre vous. Lorsqu’il s’agit de boxe, le mot «art» réfère habituellement à la finesse du styliste dont le jeu de jambes fait penser à celui d’un danseur étoile. Muhammed Ali était de ce point de vue l’exemple par excellence.

Quant à l’expression «couper le ring», son sens se limite généralement à une manœuvre plutôt intuitive d’un boxeur poursuivant sans relâche son adversaire. Dans cette optique, cette manœuvre ne serait rien de plus que l’acharnement d’un guerrier visant à coincer l’opposant dans les câbles.

Pourtant, l’habileté à couper le ring est beaucoup plus que cela. Cette habileté repose sur un ensemble de techniques toutes aussi complexes et raffinées que celles des stylistes. Mais plus encore, vous serez peut-être étonnés de savoir qu’elle requiert le même jeu de jambes que celui utilisé par les meilleurs techniciens. Je reviendrai plus loin sur cet aspect pour le moins fondamental.

D’abord, je vous suggère de regarder la vidéo suivante. Vous verrez pourquoi Gennady Golovkin est considéré comme étant l’un des boxeurs les plus efficaces aux fins de couper le ring.

Ensuite, il convient que je vous présente l’essentiel de ce que l’on peut trouver sur internet. Voici donc en résumé comment l’habileté à couper le ring y est décrite :

  • Ne pas se déplacer trop rapidement (ne pas courir tout droit sur l’adversaire).
  • Ne pas poursuivre l’adversaire autour du ring.
  • Se déplacer latéralement afin de garder l’adversaire en face.
  • Ne pas s’approcher trop près de l’adversaire pour éviter qu’il vous contourne et s’enfuie.
  • Si l’adversaire pivote, faire un pas en arrière pour éviter qu’il s’échappe.
  • Mettre une pression soutenue, mais variable; tantôt en avançant sur l’adversaire, tantôt en reculant quelque peu pour éviter un déséquilibre.
  • Ne reculer que si votre défensive ne vous permet pas de stopper la contre-attaque de l’adversaire; dans un tel cas, il faut aussitôt reprendre l’espace perdu.
  • L’objectif est de couper l’espace à l’adversaire afin qu’il soit acculé aux câbles ou mieux encore, dans l’un des coins du ring.
  • Exécuter ses meilleurs coups de poing une fois seulement que l’adversaire est dans les câbles ou dans le coin du ring.

Ce résumé fait état de la manière dont on conçoit généralement l’habileté à couper le ring. Quoique tous ces paramètres s’avèrent très pertinents, ils ne sont pas totalement satisfaisants d’un point de vue pédagogique. Ainsi, mon objectif sera de compléter aussi rigoureusement que possible cette énumération. Je débute donc par ce qu’il y a de plus fondamental pour tout boxeur, quel que soit son style.

LES JEUX DE JAMBES

L’habileté à couper le ring ne peut pas être pleinement développée sans avoir d’abord priorisé l’apprentissage de la mobilité. J’avoue éprouver beaucoup de difficulté à accepter le fait qu’un grand nombre d’entraîneurs négligent l’enseignement des divers jeux de jambes à l’égard de certains jeunes athlètes sous prétexte qu’ils ne sont pas doués pour cette facette de la boxe.

En premier lieu, il faut savoir que les jeunes boxeurs ne se développent pas tous au même rythme. Autrement dit, certains athlètes dont la maturité physique est réputée «tardive» vont parfois surpasser avec le temps leurs camarades pourtant plus précoces sur le plan des habiletés athlétiques et physique. On a donc tort de restreindre l’enseignement des jeux de jambes vis-à-vis ceux-là qui ont besoin d’une période plus longue aux fins de compléter leur développement.

En second lieu, il importe de considérer comme un tout l’ensemble des habiletés et capacités dont dispose un boxeur. Ainsi, un jeune athlète foncièrement moins talentueux pour ce qui est de sa mobilité pourra très souvent compenser ce déficit grâce à d’autres aspects de sa boxe. Par contre, pour qu’une telle compensation puisse s’opérer, il est impératif que cet athlète atteigne un niveau acceptable relativement à ses habiletés de déplacement.

En d’autres mots, aux fins de maîtriser l’habileté à couper le ring, le jeune athlète n’a pas à devenir un second Muhammed Ali. En revanche, l’aisance dans ses déplacements doit tout de même se rapprocher de celle des meilleurs techniciens pour être en mesure de suivre la cadence imposée par ceux-ci lors d’un combat.

Au fond, ma recommandation à l’égard de ce jeune athlète est simple : c’est qu’il suive en tous points le type d’entraînement effectué par les virtuoses du jeu de jambes. Par exemple, au lieu d’exiger du futur «pressure fighter» qu’il limite ses déplacements en n’exécutant que des petits pas, il serait plutôt approprié qu’il s’entraîne à varier la distance et l’amplitude de ses mouvements comme le font ces jeunes boxeurs dont on recherche l’élégance dans le ring.

Lorsqu’il s’agit de l’apprentissage de jeunes athlètes, il me paraît aberrant qu’on restreigne l’enseignement des jeux de jambes de quelque façon que ce soit. Peu importe le style préconisé, tous doivent faire l’apprentissage des manœuvres impliquant la rapidité d’exécution, la répartition du poids du corps, les changements de direction, les déplacements complexes (ex : chassés angulaires), etc…

Mais ce n’est pas tout. Lors d’un combat, le jeune boxeur ne doit-il pas en plus éviter de se déplacer au hasard? Il lui faut alors user de discernement pour parvenir à couper le ring avec succès. Il y a donc là aussi un apprentissage nécessaire à sa pleine réalisation.

LE CONTRÔLE DU RING

J’ai insisté passablement sur le fait que le jeu de jambes d’un jeune «pressure fighter» doit atteindre un certain niveau de performance dans le but de couper le ring avec efficacité. Mais il n’est nul besoin qu’il égale celui des meilleurs dans ce domaine. Pour compenser un léger déficit, il lui suffira de s’adjoindre un allié, un complice : les câbles.

Or, pour profiter de l’aide des câbles, ce boxeur doit faire preuve d’une certaine anticipation. Dans ce cas, il ne se déplacera pas en avançant tout droit devant lui. Ici, je ne réfère pas aux déplacements latéraux, lesquelles sont utiles, mais parfois insuffisants lorsqu’il faut mettre davantage la pression pour coincer l’adversaire. Je réfère plutôt aux déplacements consistant à avancer non pas directement vers l’adversaire, mais légèrement à sa gauche ou à sa droite selon le cas.

Par exemple, si le «pressure fighter» se déplace en direction de l’épaule gauche de l’adversaire, ce dernier aura normalement tendance à bouger de l’autre côté, tout simplement parce qu’il y a plus d’espace pour s’échapper de ce côté. Afin de mieux saisir cette manœuvre, je vous suggère de regarder la vidéo qui suit. Même si cette vidéo peut paraître inusitée du fait qu’elle montre un chien de troupeau en plein travail, ladite manœuvre s’apparente à celle que le boxeur doit exercer lorsqu’il a affaire à un opposant coriace. Allez à la 7:15 de la vidéo.

Du point de vue du «pressure fighter», en s’avançant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, mais en optant cependant pour le côté le plus approprié, ceci lui permettra alors de diriger progressivement le recul de l’adversaire vers les câbles. En utilisant judicieusement cette façon d’avancer par rapport à l’adversaire, ce dernier aboutira là où il est souhaitable qu’il soit, préférablement dans l’un des coins du ring.

Or, aux fins de rendre encore plus efficace cette façon de couper l’espace de l’adversaire, il existe encore un outil disponible, sinon indispensable pour le «pressure fighter». En réalité, il s’agit d’une astuce que tout boxeur peut non seulement utiliser, mais améliorer tout au long de sa carrière. À mon avis, la maîtrise de cette astuce est la marque des grands.

LES FEINTES

Je suis toujours un peu surpris de voir un «pressure fighter» qui se limite à feinter sans réelle conviction. Je réfère ici à ce type de feinte stérile que l’on observe chez un grand nombre de boxeurs. Pardonnez-moi mon intransigeance, mais je conçois les feintes comme étant au sommet de l’intelligence du ring. Dans cette optique, une feinte doit déboucher sur une quelconque manœuvre, sans quoi elle n’a aucune valeur.

Ainsi, l’exécution d’une feinte a pour but de provoquer une réaction de l’adversaire. Le boxeur cherchera alors à profiter de cette réaction (le plus souvent stéréotypée) pour percer la défensive de son opposant.

Or, les feintes ont aussi leur importance du point de vue de la mobilité du «pressure fighter» lorsque ce dernier veut couper l’espace et amener l’adversaire à se replier dans les câbles. Dans un tel cas, le choix de la feinte n’est pas anodin.

Par exemple, ce boxeur pourrait feindre de couper le ring par la droite, sachant que l’adversaire a l’habitude dans une telle situation de réagir en retraitant. En somme, l’exécution de feintes permet non seulement au «pressure fighter» de discerner les habitudes et les manies de l’adversaire, mais également d’en tirer profit lors de ses manœuvres visant à couper le ring.

Que ce soit pour percer la défensive de l’adversaire ou encore pour amener celui-ci à se retrouver prisonnier dans un coin du ring, il est clair que les feintes sont susceptibles de jouer un rôle pour le moins déterminant dans la carrière de tout boxeur.

CONCLUSION

En terminant, je tiens à préciser que la manœuvre consistant à couper le ring n’est pas à proprement dit un style de boxe, mais plutôt un outil à utiliser lorsqu’il est susceptible de donner un avantage. Cela reste toujours à évaluer par le boxeur et son entraîneur. Car cette manœuvre peut ne pas fonctionner face à certains adversaires et même causer éventuellement la perte du pugiliste.

C’est pourquoi l’habileté à couper le ring doit être abordée dans une perspective plus large, celle de la pédagogie. Cela requiert en réalité un apprentissage dont la progression se fait à un rythme qui varie énormément d’un athlète à un autre. Aussi, cet apprentissage gagnera à faire partie d’un développement global et à long terme. La persévérance sera de rigueur.

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