Un texte de Rénald Boisvert
Il sera question ici de puissance, de précision et de gestion d’énergie. Or je ne peux discuter de ces sujets sans évoquer le nom de Canelo Alvarez. Sur ces aspects, ce boxeur me paraît en ce moment incontournable. J’y viendrai un peu plus loin dans le texte.
En premier lieu, il me faut aborder ces sujets en faisant certains rapprochements entre le hockey et la boxe. Ce sera d’ailleurs une excellente façon de «mettre la table» pour mieux saisir les qualités exceptionnelles de Canelo.
Tant au hockey qu’à la boxe, il appert que puissance et précision ne font pas toujours bon ménage. L’athlète doit-il alors trouver un compromis? De même, sur le plan énergétique, que ce soit pour un boxeur ou un hockeyeur, donner son maximum en tout temps peut apparaître contre-productif. Le cas échéant, l’athlète peut-il lever le pied à certaines occasions?
Voilà deux sujets que je compte traiter dans ce troisième article à propos des similitudes entre le hockey et la boxe. Comme dans le premier article – https://boxingtownquebec.ca/la-boxe-et-le-hockey-quelques-similitudespremiere-partie ainsi que dans le deuxième article – https://boxingtownquebec.ca/la-boxe-et-le-hockey-quelques-similitudesdeuxieme-partie/ – je vais me référer aux propos du commentateur et entraîneur Guy Boucher.
PUISSANCE VS PRÉCISION
Dans la vidéo qui suit, il est question des lancers de puissance à partir de la ligne bleue. On y mentionne que certains tirs sont si puissants, mais à ce point imprécis que cela met en danger les joueurs qui se tiennent devant le gardien de but.
De cette vidéo, je retiens en particulier l’un des commentaires de Guy Boucher. Il note qu’on a généralement tendance à se rappeler principalement les buts comptés sur des tirs de puissance. Il ajoute par ailleurs qu’on oublie le fait que ces tirs à partir de la ligne bleue ratent la plupart du temps la cible. La puissance marque l’imaginaire, mais elle est loin de garantir la précision.
À la boxe, les coups de poing lancés avec puissance sont souvent perçus comme étant au cœur d’une confrontation entre deux pugilistes. Ils sont synonymes de spectacle. Or, le commentaire de Guy Boucher pourrait-il s’appliquer aussi à la boxe? Se pourrait-il que la mémoire nous joue des tours de telle sorte que nous accordons aux coups de puissance un taux d’efficacité plus grand qu’il ne l’est en réalité?
LA PRÉCISION BAT LA PUISSANCE
Ce vieil adage est bien connu de la majorité des entraîneurs de boxe. À titre d’exemple, ceux-ci vont généralement référer à un combat emblématique : Ali vs Foreman. Dû à la puissance quasi surhumaine de Foreman, la grande majorité des admirateurs de Muhammad Ali ne croyaient pas alors que celui-ci pouvait remporter le match. Plusieurs étaient même d’avis qu’il allait subir un knockout. Or, Ali est sorti victorieux de cet affrontement par ko. Voyons comment ceci peut s’expliquer.
Vous avez peut-être déjà entendu l’affirmation suivante : « un knockout n’est pas causé le plus souvent par un coup de puissance, mais par un coup que le boxeur n’a pas vu venir ». La raison est que le coup de poing effectué avec le maximum de puissance implique généralement une forte contraction musculaire au niveau des hanches et des épaules, rendant ainsi prévisible le déclenchement de ce coup de poing.
Ceci était certainement la principale lacune de Foreman. Il cachait plutôt mal son intention de détruire l’adversaire. Vous comprendrez que ce type d’attaque déployé par Foreman était beaucoup trop flagrant et prévisible pour l’œil vif d’un Muhammad Ali. En bref, ce dernier pouvait alors aisément lire et anticiper la plupart des coups d’assommoir lancés par Foreman.
En deuxième lieu, il faut bien avouer que la puissance maximale déployée à la boxe comme au hockey a généralement pour effet de compromettre chez l’athlète la coordination, puis la stabilité et par voie de conséquence, la précision.
À titre d’exemple, pensez à un dard que vous lanceriez de toutes vos forces. Manifestement, vos chances de toucher le centre de la cible seraient alors nettement moindre que si vous en limitez l’intensité. Bien évidemment, à la boxe, le taux de puissance recherché doit être quand même assez élevé. Je dirais même autour de 85% de la puissance maximale. Cependant, ce pourcentage représentant un compromis entre la puissance et la précision n’est qu’approximatif. En fait, les pugilistes n’ont pas tous les mêmes habiletés et capacités. D’autant que certains d’entre eux possèdent des dispositions exceptionnelles.
LA RÈGLE ET SES EXCEPTIONS
Tout en affirmant que la précision bat la puissance, il faut par ailleurs reconnaître que cette règle comporte des exceptions. Canelo Alvarez en est le meilleur exemple. Ce boxeur est un phénomène sur ce point. Avec les années, Canelo est parvenu à améliorer magistralement son taux d’efficacité (précision) en dépit du fait qu’il lance ses coups avec le maximum de puissance. Comment expliquer cela?
D’abord, il faut bien admettre que cet attribut majeur chez Canelo s’est développé très progressivement au cours de sa carrière, quoique de manière un peu plus distinctive à partir de son combat contre Floyd Mayweather junior. En bref, Canelo est parvenu peu à peu à la maîtrise quasi parfaite du «timing» ainsi que des feintes et des pièges. Ce sont là les principaux facteurs qui lui ont permis graduellement de bien choisir les moments d’appliquer ses coups avec le maximum de puissance et de précision.
Or, avant de devenir l’exception, il a bien fallu que Canelo se conforme à la règle pendant une bonne partie de sa carrière. Plus jeune, il a fait lui-aussi l’erreur de trop souvent miser sur la puissance aux dépens de la précision. Mais cela a fait partie de son développement. On aurait donc tort de croire que la règle pourrait être menacée par ses exceptions. Sur le plan pédagogique, il demeure que tout boxeur doit accepter le fait, notamment en début de carrière, qu’il ne peut pas compter uniquement sur la puissance.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette question. J’y reviendrai certainement dans un prochain article. Il est maintenant le temps de passer à mon deuxième sujet qui n’est quand même pas très éloigné de celui que je viens de traiter. D’ailleurs, la référence à Martin St-Louis reconnu pour son QI hockey témoignera de cette connexité entre les deux sujets.
LA LOI DU 85% SELON MARTIN ST-LOUIS
Sur le plan énergétique, on a tendance à penser qu’un joueur de hockey doit «mettre la pédale au fond» en tout temps. C’est ce que croyait Guy Boucher avant que Martin St-Louis lui fasse comprendre que ce ne peut pas être le cas. Vous constaterez dans la vidéo ci-après que c’est avec beaucoup d’humilité que l’ex-entraîneur Guy Boucher rapporte cet entretien.
Ainsi, il va de l’intérêt du joueur de hockey de maintenir un niveau d’intensité qui se situe aux environs de 85% de sa capacité maximale. Ce rythme lui permet alors de donner des pics d’intensité lorsque la situation l’exige.
Au lieu de démarrer un shift en appuyant à fond sur la pédale, puis de devoir lever le pied par la suite (à des moments qui pourraient être cruciaux), ne vaut-il pas mieux que l’athlète maintienne un niveau d’intensité qui soit optimal (entre 80% et 90%) dans le but de ne pas laisser passer les opportunités au cours desquelles il pourrait alors fournir un pic d’intensité?
OPTIMISER LES PICS DE PUISSANCE
Ce que Guy Boucher décrit comme étant la loi du 85% ne se limite pas seulement au Hockey. De nos jours, le boxeur élite va lui-aussi prioriser le recours aux pics d’intensité lors d’un combat. Aussi, il est maintenant acquis que le pugiliste qui se donne constamment à fond sera incapable de maintenir la cadence et d’atteindre les niveaux d’intensité optimaux qu’auraient pu lui procurer un rythme légèrement moins soutenu mais ouvrant sur des pics de puissance.
Pour revenir à Canelo Alvarez, vous avez certainement observé que celui-ci en est venu avec les années à diminuer considérablement sa cadence durant un combat alors qu’il a augmenté radicalement son explosivité. Ce n’est pas un hasard s’il est tantôt en sous-régime et tantôt en sur-régime. Ce sont les moments de moindre intensité qui lui permettent d’être aussi efficace au cours de ses pics de puissance.
Or, par rapport à la gestion d’énergie, Canelo Alvarez fait encore exception. Son rythme est beaucoup en deçà dudit 85% que maintiennent la plupart des boxeurs élites (ex : Teofimo Lopez, Terence Crawford, Dmitry Bivol, Artur Beterbiev, etc…) Par ailleurs, je parie que Canelo est tout à fait conscient qu’il pourrait devoir élever son rythme dans le cas où l’opposition le requérait. Il s’y prépare assurément.
CONCLUSION
Je retiens de mes trois articles sur les similitudes entre le hockey et la boxe, en dépit des nuances à apporter, que ces deux disciplines sportives ont en commun une évolution qui n’est pas sans lien avec les progrès réalisés par la science du sport. Même si cette dernière se développe plutôt lentement, elle demeure un facteur de changements appréciables par rapport à l’ensemble des disciplines sportives. Restons aux aguets!