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Ils étaient quatre

Ils étaient quatre

Un texte de Vincent Morin

BOSTON, 19 octobre 2019 – Ils étaient quatre. Patrick Day. Maxim Dadashev. Hugo Santillan. Boris Stanchov. Quatre boxeurs sont décédés cette année des suites d’un combat de boxe professionnelle.

C’est beaucoup en peu de temps. Et personne n’est à l’abri.

Il faut malheureusement se rappeler la tragédie du 1er décembre 2018 au Centre Vidéotron, où Adonis Stevenson a failli y laisser sa peau au terme d’un combat face à Oleksandr Gvozdyk.

Fort heureusement, Adonis porte bien son sobriquet de « Superman » et a survécu, continuant jour après jour de défier les pronostics à son sujet. Il a toutefois passé très près de ne plus pouvoir serrer ses enfants dans ses bras.

Au Canada, en 2017-2018, deux pugilistes ont perdu la vie: David Whittom et Tim Hague.

David Whittom était mon coéquipier avec l’Équipe du Québec.

Je me rappelle avoir discuté longtemps avec lui lors de notre passage au Championnat canadien à Regina en 2004, où l’on a tous les deux raté notre chance de se qualifier en vue des Jeux Olympiques d’Athènes.

On avait plusieurs points en commun : la boxe a notamment été notre porte de sortie par rapport aux dépendances qui nous affligeaient.

Son décès m’a particulièrement affecté. J’ai remis en doute ma passion pour le « noble art ».

Celui de Patrick Day m’a aussi touché. J’avais analysé son combat sur les ondes du 91,9 Sports en compagnie de mes collègues Louis-Philippe Guy et Gilbert Delorme en sous-carte du combat de championnat du monde des mi-lourds entre Eleider Alvarez et Sergey Kovalev, en février dernier au Texas. Nous avions longuement échangé après sa victoire. Il s’agissait d’un garçon extrêmement brillant, doué, articulé et sympathique.

Il était également un proche et un partenaire d’entraînement de plusieurs de mes amis et connaissances.

Puis je me suis rappelé que je ne serais probablement pas encore en vie sans la boxe. Je mettais ma vie en jeu régulièrement avec mes excès. Le sport m’a appris la discipline, la détermination, le respect et d’une certaine manière, la maturité face à la vie.

Toutefois, à mon époque, on ne parlait pas des risques associés aux commotions cérébrales. Pour plusieurs d’entre nous, il était normal d’avoir des maux de têtes et on croisait les gants plusieurs fois chaque semaine puisque le « sparring », bien souvent à intensité maximale, faisait partie de notre routine.

On savait qu’il y avait des risques, mais le dernier décès ayant eu lieu au Québec remontait à 1980, lorsque Cleveland Denny avait perdu la vie après une dure bataille contre Gaétan Hart au Stade Olympique.

Pour nous, c’était lointain et donc, d’une certaine façon, vu comme une situation plutôt rare.

Les derniers événements nous montrent qu’on avait tort.

Il y a plusieurs questions qui me trottent dans la tête depuis plusieurs jours. La plus importante est celle-ci : quelles sont les solutions afin de réduire les risques reliés aux sports de combat professionnels?

Mon travail de session afin d’obtenir mon diplôme de deuxième cycle en Management du sport au HEC Montréal consistait justement en une présentation sur un « Protocole de sécurité » afin de protéger les combattants. Je me permet donc de vous en partager le contenu.

Grosso modo, voici les cinq points cruciaux, à mon humble avis, afin de mieux encadrer la pratique des sports de combat professionnels au Québec :

1-Mieux régulariser les coupes de poids, qui sont franchement dangereuses (pour le boxeur et pour son adversaire).

J’avais suggéré la reprise d’un maximum de 10% du poids enregistré à la pesée avant de grimper dans l’arène. La commission athlétique de Californie vient d’ailleurs d’emboiter le pas…avec une règle d’un maximum de 15%. C’est un bon début.

L’eau protège la boite crânienne du boxeur. Ce n’est pas pour rien qu’un boxeur complètement déshydraté n’a plus la même capacité à encaisser les coups (voir Chad Dawson contre Andre Ward). Le contraire est tout aussi vrai : un combattant qui a repris trop de poids peut être beaucoup trop puissant pour son rival (voir Arturo Gatti contre Joey Gamache).

Limiter la reprise de poids permettra de contrôler les excès.

2-Réduire le nombre de rounds.

Force est de constater que l’accumulation de coups cause des dommages. Patrick Day est décédé après un KO au 10e round. Pour Maxim Dadashev, c’était au 11e assaut. Hugo Santillan, après une bataille de 10 rounds. David Whittom, au 10e engagement. Cleveland Denny…également à la 10e reprise.

Je suggère donc d’abolir les combats de 12 rounds et de laisser des affrontements de 10 assauts uniquement pour des championnats du monde. Pour les championnats internationaux, continentaux, nationaux et finales de galas sans ceinture en jeu, je propose des chocs de 8 assauts maximum. Les autres duels seront de 6 ou de 4 rounds.

Ça semble drastique comme mesure. Rappelez-vous toutefois qu’auparavant, les chocs de championnats du monde étaient disputés en 15 rounds. Il a fallu le décès du Sud-Coréen Deek Koo-Kim en 1982 pour forcer la main des institutions de la boxe afin d’abolir les face-à-face de 15 assauts. Il est maintenant temps de suivre le pas…

3-Une évaluation annuelle et après chaque combat

Il faut être honnête, les tests médicaux actuels pour les boxeurs ne peuvent pas détecter les traces de commotions cérébrales. Au Québec, il faut passer un « CT-Scan » ou un « MRI » aux deux ans (en plus des examens généraux et tests sanguins) afin d’obtenir son permis de boxeur professionnel. Le CT-Scan et le MRI découvre les anomalies, cicatrices ou saignements au cerveau, mais en aucun cas il n’est possible d’y détecter une commotion cérébrale.

Toutefois, le Docteur David Tinjust a inventé une technologie ingénieuse. Cette invention nommée APEXK permet d’évaluer le temps de réaction et les performances cérébrales des athlètes.

Elle peut donc percevoir le ralentissement cognitif, bien présent lors des symptômes de commotion.

Je suggère que tous les boxeurs professionnels de la Belle Province passent ce test au début de l’année et après chaque combat. Si le pointage n’est pas égal ou à 1% près du test initial, le combattant ne pourra pas recevoir de coups (même en sparring) jusqu’à ce qu’il atteigne de nouveau son résultat initial.

4-Doubler les suspensions

À une époque lointaine, les boxeurs se battaient à un rythme plus fréquent. Pourtant, certains pugilistes tels que Jake Lamotta ont combattu à plus d’une centaine de reprises, tout en gardant leurs facultés intellectuelles et leur élocution presque intactes jusqu’à la fin de leur vie.

Se pourrait-il que les sessions de « sparring » trop intenses et rapprochées soient le problème? Une commotion cérébrale subie à l’entraînement avant un combat est de toute évidence une recette pour un désastre. Puisqu’il est impossible de suivre chaque athlète à la trace jusque dans les gymnases, il faut trouver une autre solution.

À mon avis, les suspensions médicales en boxe professionnelle sont encore trop laxistes (trop courtes). Pour un combat de 4 rounds, une suspension de 7 jours est instaurée. Pour 6 rounds, 14 jours.

Pour 8 rounds, 21 jours et pour 10 rounds, 30 jours. Je suggère de doubler ces suspensions (en plus d’établir mon point 2 sur le nombre de rounds), question d’espacer les combats davantage.

5-Une évaluation plus stricte pour le permis de boxeur professionnel

Je ne me ferai pas d’amis ici, mais c’est un point que j’assume entièrement. Certains combattants ont un permis de boxeur ou de combattant professionnel et ne devraient pas en avoir.

Un boxeur qui n’a pas fait 30 combats amateur, qui n’en a pas remporté au moins la moitié ou qui n’a pas fait aucun tournoi de type classe ouverte ne devrait pas pouvoir boxer chez les professionnels, car il n’aura pas l’expérience requise afin d’être compétitif…Pire, il servira de sac de sable pour les boxeurs prometteurs.

Les combattants provenant d’autres disciplines tels que les arts martiaux mixtes ou le kickboxing doivent passer une évaluation et c’est tout-à-fait normal. Seuls ceux qui ont les capacités et l’expérience requise devraient d’ailleurs recevoir leur permis.

Mais un boxeur amateur qui n’a pas l’expérience requise ou qui a évité les grands tournois de peur de souiller sa fiche ne devrait pas pouvoir demander cette évaluation.

N’oubliez pas une chose…un boxeur amateur qui refuse les défis deviendra aussi à tout coup un boxeur « semi-professionnel » de bas niveau craintif qui refusera TOUS les défis.

-Mot de la fin-

Malgré tout, j’ai passé une belle soirée hier soir avec la victoire spectaculaire de l’indestructible Artur Beterbiev. Vous aurez droit à mon compte-rendu dans la deuxième édition de « La minute de repos ». Ding, ding!

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