Un texte de Vincent Morin
BOSTON, 21 octobre 2019 – Je me rappelle de cette journée encore comme si c’était hier. L’entraîneur Marc Ramsay m’avait écrit :« Vient au gymnase aujourd’hui. J’ai quelque chose de très spécial à te montrer. »
J’étais alors chroniqueur de boxe et journaliste sportif au Journal de Montréal. J’étais bien intrigué de voir la surprise que me proposait Marc. Ce dernier, affable, sympathique mais difficilement impressionnable et impressionné, me semblait très fébrile par rapport à cette toute nouvelle recrue, un dénommé Artur Beterbiev.
J’ai fait mes recherches, regardé des vidéos. Double Olympien, champion du monde amateur en 2009 et boxeur de l’année (livre pour livre) de l’AIBA en 2010. Un parcours incroyable dans les rangs non payants. Les vidéos nous montraient un style offensif et agressif qui allait assurément plaire au public.
Sur place, c’était encore plus percutant. J’avoue avoir tout de suite été déstabilisé par ce que j’ai vu. La précision, la coordination, la force de ses avant-bras, la puissance brute…des exercices non conventionnels. C’était palpable : cet athlète était vraiment spécial. Du genre qu’on ne voit qu’une seule fois par génération.
Marc m’a demandé du tac-au-tac : « Tu veux mettre les gants avec lui? ». Ma réponse a été assez cinglante : « Es-tu malade ?! »
Après l’entraînement, Artur et sa gérante du moment, Anna Reva, m’ont invité à poursuivre l’entrevue dans un café, question de mieux connaître le fascinant personnage.
Ne vous fiez pas à la mine patibulaire d’Artur : il est beaucoup plus sympathique qu’il en a l’air! Il tenait mordicus à payer mon café puisque j’étais le premier journaliste à l’interviewer et à partager son histoire.
Plus tard, il nous a également invités chez lui, Réjean Tremblay et moi, afin de déguster un fabuleux festin Tchétchène préparé par sa mère et sa femme. Un moment incroyable…et c’était délicieux!
Pour vous donner une idée de l’homme : lors de son passage aux bureaux de GYM, il s’est rappelé du prénom de ma femme, même si ça faisait plusieurs mois où on ne s’était pas parlé.
Oubliez l’image d’un homme de Cro-Magnon qui ne sait que frapper avec ses poings : on parle d’un athlète intelligent, éduqué et respectueux!
-André Kulesza avait vu juste-
Avant l’exploit de Beterbiev, qui est devenu le premier boxeur québécois à unifier des titres de champion du monde d’une catégorie de poids, Leonard Dorin est celui qui est passé le plus près de réussir.
Dorin, champion du monde WBA des poids légers, s’est fait voler une victoire en 2003 à Pittsburgh devant le héro local, le champion IBF des légers Paul Spadafora. Le combat s’était terminé en match nul (115-113 Dorin, 114-114, 114-115 Spadafora).
Le Roumain d’origine était une force de la nature. Yvon Michel me racontait que malgré ses 5’4’’ et 150 lbs, Dorin était l’athlète le plus fort physiquement qu’il avait vu de sa vie et qu’il pouvait lever une charge plus pesante que bien des poids lourds.
Or, le préparateur physique André Kulesza s’est occupé de Dorin, tout comme de Lucian Bute, d’Éric Lucas et de plusieurs autres au cours de sa carrière. Il n’avait jamais vu d’athlète du niveau de Beterbiev auparavant. Ça peut vous donner une idée…
Par ailleurs, pour vous donner une idée de la force de frappe de celui que les Américains surnomment dorénavant « Beterbeast », voici une anecdote qui me fait plier de rire chaque fois où je la raconte.
Lorsque le Groupe Yvon Michel (GYM) avait son bureau sur le Boulevard Saint-Laurent, dans le nord de la métropole, il y avait également un gymnase au rez-de-chaussée où Marc Ramsay entraînait ses boxeurs. Dès la première journée où est arrivé Artur dans le gymnase, il a fait des ravages.
Il a frappé tellement fort sur le sac d’entraînement que la pauvre réceptionniste de l’époque chez GYM, Monique, a cru qu’un tremblement de terre avait secoué le bureau!
-Une performance des ligues majeures-
Oleksandr Gvozdyk n’était pas le dernier venu. Médaillé de bronze olympique, invaincu en World Series of Boxing, invaincu chez les professionnels et détenteur d’une impressionnante victoire sur Adonis Stevenson pour lui ravir le titre mondial WBC et linéaire des mi-lourds.
Pourtant, samedi soir à Philadelphie, lui aussi a eu l’impression d’avoir été aux premières loges d’un tremblement de terre.
Trois chutes au tapis au 10e round et l’Ukrainien, un protégé du réputé entraîneur et commentateur américain Teddy Atlas, en avait assez. Il a dû passer deux jours en observation à l’hôpital. Heureusement, il est sorti du centre hospitalier en bonne santé, mais il devra repasser une panoplie de tests avant de pouvoir boxer de nouveau.
Bienvenue dans le manège d’Artur, « The Beterbeast ».
Prochaine destination : la Chine pour l’aspirant obligatoire IBF, Fanlong Meng, au début de 2020.
Il se vengera ainsi d’un vol subi aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008 face au local Zhang Xiaoping. Meng est également un Olympien et un très bon technicien. Il croulera toutefois au plancher face à Beterbiev.
Par la suite, ce dernier compte s’attaquer aux titres WBA de Dmitry Bivol et WBO de Sergey Kovalev (si ce dernier l’emporte devant Canelo Alvarez).
Marquez mes mots : personne ne battra Artur Beterbiev chez les mi-lourds. Que ce soit Bivol, Kovalev, Saul « Canelo » Alvarez, Callum Smith ou Gilberto Ramirez.
La conquête est commencée. En 2017, c’était le titre IBF. En 2019, le titre WBC. Il en reste encore deux à conquérir (trois si vous comptez la mythique ceinture du Ring Magazine).
Sur une note finale, j’ai bien aimé les bons mots de l’ex-champion du monde et médaillé d’or olympique Andre Ward sur l’entraîneur Marc Ramsay. Ward mentionnait l’expérience de Ramsay en situation de combats de championnat et il avait prédit une victoire de Beterbiev.
Marc Ramsay mérite tout le crédit qui lui revient avec le travail colossal qu’il a livré, jour après jour, depuis ses débuts. J’en profite aussi pour souligner l’excellent boulot de ses assistants, Luc-Vincent Ouellet, Samuel Décarie-Drolet et Vincent Auclair.
Notons que sur les quatre analystes présents sur les ondes d’ESPN, seul Tim Bradley voyait Gvozdyk l’emporter : il faut comprendre que Teddy Atlas était aussi son ancien entraîneur! Bradley croit maintenant que Canelo Alvarez va fuir Artur comme la peste…
Le prochain numéro de « La minute de repos » portera sur la ville de Boston, où je loge depuis une semaine. Quelle ville de sports!